PRESS
Search
Sugar Sammy : écarts de langage
Entretien avec un enfant terrible qui n'a de sucré que le nom.
Depuis qu'il a mis en veilleuse sa carrière internationale pour courtiser le public québécois, Sugar Sammy est devenu l'un des incontournables de l'humour made in Québec. Bête noire des uns, coqueluche des autres, il ne laisse personne indifférent. Et à ceux qui rient jaune, il assure ne se moquer que des gens qu'il aime. Entretien avec un enfant terrible qui n'a de sucré que le nom.
Quand avez-vous choisi de faire des frictions culturelles et linguistiques la matière première de votre humour ?
Je ne me suis jamais dit : ah, voilà mon registre, à partir de maintenant, je vais faire des blagues là-dessus ! J'ai toujours écrit les gags un à la fois, sans concept précis. J'en écris à longueur de journée, sur tous les sujets, et quand j'en ai suffisamment, j'en tire un spectacle. Je ratisse large, d'ailleurs : je parle des relations hommes-femmes, des relations enfants-parents, je parle de mes voyages, de hockey, de toutes sortes de choses, dont les frictions identitaires et linguistiques.
Ça vous déplaît de n'être associé qu'à ces sujets-là ?
Non, je suis conscient que c'est l'aspect de mon spectacle qui est le plus attrayant pour les médias. C'est sans doute ce qui me distingue ici, au Québec. Mais pour être franc, je m'étonne qu'on en parle autant. Durant mon spectacle, je ne traite de l'identité québécoise que pendant quatre minutes, et de la question linguistique pendant quatre autres minutes… Huit minutes en tout, sur 75 !
Pourquoi des réactions aussi fortes, alors ?
Je suis né à Côte-des-Neiges, je suis allé à l'école la plus multiculturelle du Québec [école Van Horne, devenue La Voie]. Je pense pouvoir dire que j'ai une connaissance des réalités de l'immigration, de la cohabitation des cultures. D'ailleurs, je taquine tout le monde… Quand je vais aux états-Unis, je taquine les Américains ; en Angleterre, je taquine les Anglais. Ici, je pense que j'ai un profil déstabilisant pour beaucoup de gens. En tant que fédéraliste issu de l'immigration, qui se prononce sur des sujets comme la langue ou le racisme, j'ai une place particulière dans l'industrie. Mon point de vue est celui d'une minorité dans une majorité linguistique, qui elle-même constitue une minorité dans un ensemble plus grand !
Certains prêtent une portée politique à votre humour. Il faut dire que, plus jeune, vous avez fait partie des Jeunes libéraux, vous avez milité pour le Non en 1995…
On prête beaucoup de pouvoir aux artistes en disant qu'ils influencent la société. Je pense qu'ils contribuent surtout à faire réfléchir. Les humoristes, pour moi, sont des anthropologues. Ils observent ce qui se passe autour d'eux, ils essaient de comprendre les phénomènes, puis ils proposent une lecture de tout ça. Avec humour, évidemment. S'il y avait des sujets que je n'abordais pas, je m'exposerais à ce qu'on dise : « Hey, il y a un éléphant dans la pièce, pourquoi tu n'en parles pas ? » Le malaise autour de la langue, il est présent au Québec, alors j'en parle. Mais la politique elle-même, franchement, je ne la suis plus beaucoup…
Peut-on aller trop loin, en humour ? Le Français Dieudonné semble l'avoir fait, lui, en flirtant avec les thèses négationnistes…
Sans doute, oui. Moi, je teste mes blagues, beaucoup, et quand je m'aperçois que les gens y voient surtout quelque chose de méchant, je fais marche arrière. Je ne veux pas être méchant. Par contre, je veux parler des tensions qui sont présentes dans ma société, c'est le travail d'un humoriste, ça. Le genre de travail qu'ont fait aux états-Unis Richard Pryor et Eddie Murphy, que fait aujourd'hui Dave Chappelle. Ce sont mes modèles. C'est délicat, mais parfois, rire de certains sujets, ça déclenche des discussions nécessaires. Mais je ne garderai jamais une blague simplement pour son impact social, elle doit d'abord être drôle.
Vous causez souvent un inconfort, c'est le moins qu'on puisse dire. Il y a par exemple eu cette plainte à l'Office de la langue française, à la suite d'une campagne publicitaire que vous avez faite et où l'anglais prédominait ; on va jusqu'à vous traiter de francophobe… Comment réagissez-vous ?
Je suis humain, je ne suis pas indifférent à ça. Mais je ne laisse jamais cette minorité, parce que je sais que c'en est une, influer sur mon travail. Les commentaires les plus virulents viennent de gens qui n'ont pas vu le spectacle. Ils prennent les mots hors contexte… Ceux qui viennent en salle savent que je tape sur tous les clous. Beaucoup de souverainistes viennent, d'ailleurs, et adorent le spectacle !
Vous allez vous produire en France à la fin de l'année. Sur quel clou avez-vous l'intention de taper, là-bas ?
Je sais déjà par quelle blague je vais commencer. La voici : « Après le Québec, on m'a donné le choix : les états-Unis ou la France. J'ai choisi la France, parce qu'aux états-Unis, c'est après le 11 septembre qu'ils ont commencé à maltraiter les Arabes, tandis que vous, vous l'avez toujours fait… »
On ne se refait pas.
SAMMY 101
Né à Montréal en 1976 de parents d'origine indienne, Samir Khullar a grandi dans le très multiethnique quartier Côte-des-Neiges.
à huit ans, il regarde le film Delirious, qui met en vedette l'humoriste américain Eddie Murphy. C'est le coup de foudre.
Le nom d'artiste est arrivé plus tard, alors qu'il travaillait dans une boîte de nuit et que les filles qu'il faisait entrer gratuitement lui donnaient du « Sugar Sammy ».
C'est sous ce nom qu'il allait bientôt se produire dans une trentaine de pays, en quatre langues (anglais, hindi, punjabi et français), se faisant qualifier par le Hollywood Reporter comme « l'un des 10 humoristes les plus prometteurs dans le monde ». En 2012, Sugar Sammy choisissait pourtant de se concentrer sur sa carrière québécoise. Plus de 300 000 billets des deux spectacles qu'il présente en parallèle (En français SVP ! et You're gonna rire, un spectacle bilingue) ont déjà trouvé preneur.
Photo : ML Chabot